
Pour mieux digérer l'actualité, il y a 3 grandes clés :
1. Ne pas la regarder!! Et oui, vous avez le droit de vous mettre hors médias, hors actu, hors info, de tout débrancher. Dans notre société ultra légaliste et légiférante, aucune loi n'existe encore contre ça. Ce n'est pas forcément faire l'autruche, c'est aussi se protéger, consacrer du temps à d'autres choses. Vous avez le droit de préférer un resto entre potes à la grande messe de TF1 ou France 2, un roman d'Agatha Christie à la lecture du Monde, un recueil de Kipling à la lecture du ELLE, un documentaire sur l'architecture à la lecture de Télérama.
2. Comprendre le fonctionnement médiatique. Après avoir défendu l'idée d'une mode intelligente, respectueuse et bonne pour le moral, je vais défendre la presse. Vous me direz que j'ai le goût des défis impossibles. C'est vrai, mais ça met du piment dans ma vie.
On peut commencer en rappelant que l'actualité, c'est aussi nous qui la faisons. Moi, vous, nos voisins, nos concitoyens, nos coreligionnaires, les politiques que nous avons élus (ou ceux que nous n'avons pas réussi à faire élire), nos représentants syndicalistes, les artistes que nous regardons ou écoutons, les footballeurs que nous acclamons (ou pas, bien sûr), les propriétaires des marques que nous achetons, ... L'actualité, nous y contribuons un peu, beaucoup, même si on ne s'en rend pas compte. Ca ne sert à rien de nier la réalité, elle existe et les médias en parlent. Mais qu'est-ce qu'ils peuvent nous fatiguer!! Alors que faire ? Faut-il brûler les journaux ? Eradiquer tous les journalistes, ces gros nazes pourris-vendus-prétentieux-abrutis-incapables ? Si vous voulez. On peut aussi essayer de comprendre ce qui se cache derrière certaines monomanies :
- Ne parler que des mauvaises nouvelles : ils suivent un vieil adage journalistique, "Un train à l'heure n'intéresse personne". Un train en retard, c'est anormal, le journal va parler de chaque train en retard et du coup, on a l'impression que TOUS les trains sont en retard, même si 80 % d'entre eux arrivent à l'heure.
- Monter en épingle de micro-évènements. Là encore, on dit en rédaction que "un chien qui mord un homme, ça n'intéresse personne. Un homme qui mord un chien, c'est un évènement".
- Parler tous de la même chose, jusqu'à plus soif, puis arrêter brusquement d'en parler. La Syrie, l'Ukraine, les émeutes de Ferguson... autant d'évènements qui ont fait toutes les Unes de journaux et de JT avant de disparaître du jour au lendemain des radars. Si on devait parler de tout, les journaux feraient 800 pages tous les matins et les JT dureraient 2 h 48 (et 30 mn, c'est déjà beaucoup, à mon avis).
- Informer de façon parcellaire. Là encore, l'espace et le temps ne sont pas extensibles. Les rédactions doivent faire des choix et taillent à la hache pour faire rentrer l'info dans une page ou deux minutes de JT. Comment parler de la complexité du conflit syrien en 2 mn, quand des politologues peinent à l'expliquer au cours d'une conférence de 2 heures ? Les rédactions choisissent un angle ou un sujet par rapport à divers critères : les centre d'intérêts de leurs lecteurs (ou l'idée qu'ils s'en font), la concurrence et la façon dont elle a couvert les divers sujets d'actualité et bien sûr, ce qui les intéresse : les journalistes sont des êtres humains et l'objectivité totale n'existe pas, même quand on essaye de faire notre boulot avec honnêteté. On a tendance à mettre en avant ce qu'on aime ou qu'on déteste. Par exemple, j'aurai du mal à trouver un sujet sportif. Je proposerai bien plus facilement un sujet sur le bio, la mode, l'économie ou les femmes.

Il faut aussi savoir que la moitié des infos sont déjà "filtrées" par l'AFP ou Reuters, chez qui les rédactions piochent les sujets les plus en vus. Jean-Jacques Cros, grand reporter et auteur de plusieurs ouvrages sur le journalisme, le résume très bien : "Les médias, c'est le monde vu par une lucarne." Ce qu'on voit est une partie de la réalité et il faut le garder en tête.
- Déformer les faits et faire des erreurs. Dans une rédaction généraliste, le journaliste doit maîtriser un sujet en quelques heures. Passer de la gestion du nucléaire en Inde à la GPA, puis d'un projet de loi sur les PME à un rapport sur les hôpitaux psychiatriques à la culture du champignon de Paris, la vie de George Sand ou la présidence du Sénat... C'est chaud les marrons. Donc le journaux puise dans ses références, appelle un spécialiste (2 ou 3 dans le meilleur des cas), quelques témoins puis pond son article cahin-caha. Et fait rentrer le tout au chausse-pied dans son quart de page ou son montage d'une minute (cf item précédent) en essayant de s'adresser à tout le monde.
Avant que vous ne me jetiez des cailloux, je précise que je ne justifie pas ces pratiques mais je trouve important d'expliquer l'envers du décor : je suis persuadée que c'est cette connaissance qui permet au lecteur / spectateur / auditeur de comprendre et de maîtriser sa "consommation" de l'information. Or, les journalistes parlent rarement (jamais ?) de leurs conditions de travail ni des dessous de la fabrique de l'info.
3. Dernière clé : choisir de suivre l'actualité différemment.
- En lisant différents journaux, pas seulement celui le plus proche de notre sensibilité politique. Beaucoup de gens refusent de lire ce qui ne va pas dans le sens de leurs convictions et c'est dommage. Lire, ce n'est pas forcément cautionner, c'est aussi découvrir. Apprendre à connaître. Quand un nouveau titre sort, j'essaie de l'acheter pour me faire une idée. Ca me permet aussi de voir l'évolution de certains titres. Un magazine, ça bouge et avant de critiquer ce qu'il y a dedans, c'est bien de savoir de quoi il cause. On a parfois de bonnes ou de mauvaises surprises!
- En se documentant ailleurs. Par exemple, pour les conflits syriens ou ukrainiens, suivre d'excellents sites qui publient les réflexions et les travaux de spécialistes, universitaires ou les blogs de journalistes correspondants et de citoyens du pays. Ce n'est pas objectif à 100 % non plus mais ça permet de croiser différents regards.
- En regardant la presse internationale : si vous lisez L'Orient -Le Jour, le traitement de l'EI y est bien différent du discours français. Pour tout ce qui concerne l'Afrique, Jeune Afrique est un excellent média, et parle de sujets dont on ne parle jamais en France. Ils traiteront aussi la crise Ebola ou l'intervention au Mali de façon plus approfondie. Côté radio, je suis fan de RFI. Leur appli est top moumoute, ils présentent des webdocs magnifiques et des articles longs hyper intéressants.
- Pensez à la presse professionnelle pour les thèmes économiques. L'Usine Nouvelle parle des PME sous un autre angle que Libé ou Le Figaro. Idem pour le site Mer et Marine quand il y a une catastrophe maritime. Et ce n'est pas forcément barbant!
- Passez au journalisme positif! Il n'y en a pas des tonnes, c'est vrai, mais il y en a. Beaucoup de gens sont persuadés que La Croix est un journal de catho coincés. Erreur : c'est un excellent journal humaniste, qui voit l'actualité différemment. Pour la rentrée, par exemple, ils avaient donné la parole aux enfants. Et si Dieu vous débecte, sautez les pages religions, y a pas de honte : je saute les pages sports de quasi tous les journaux! Courant positif est un pure player qui recense des initiatives bonnes pour l'homme et la planète. Sparknews fait de même.
- Soutenez les jeunes médias qui essayent de résister à l'info façon BFMTV. Sur internet, Ijsberg et Le Quatre Heure proposent des reportages longs, un peu en dehors de l'actu "chaude". Sur papier, les magazines XXI, Fisheye ou Charles sortent un peu du moule. L'hebdo Le 1, fondé il y a quelques mois par un ancien rédac' chef du Monde, est aussi une pépite, à découvrir ici.
Et si tout ça vous saoule, suivez les blogs de mode, il y en a d'excellents (même si parfois, ces greluches oublient de parler de mode pour radoter sur la presse).
Bonne semaine et gros bisous à toutes!
A lire : Médias, la grande illusion de Jean-Jacques Cros. Un livre top, top, top, qui résume très bien les bénéfices, errances et difficultés des médias.