
Un défilé, pour un créateur, c'est un peu le premier jour du reste de sa vie. Tout peut basculer.
Une mannequin qui fait faux bond, une mauvaise critique (ou pire, l'absence de critiques), les acheteurs qui boudent pour aller découvrir un nouveau concurrent, l'incompréhension du public...
Sans parler du bouton qui craque, de l'ourlet en voile qui se déchire dans un talon aiguille, d'un corset qui tourne et crée le buzz.
C'est l'aboutissement de 3 ou 6 mois de travail, de réflexions, d'angoisses, d'espoirs. C'est quitte ou double. Une collection remarquée peut t'emmener au Nirvana (sur les portants des concept-stores les plus prestigieux) ou t'apporter des investisseurs.
C'est aussi le plaisir de partager ce qu'on a au fond des tripes, un accouchement. Et bien souvent, comme lors d'un accouchement ou d'un mariage, on est un peu dans un état second. La présentation se déroule à toute vitesse, on a l'œil rivé sur LE détail qui nous chiffonne.
C'est pour cela qu'il est toujours délicat de critiquer une collection. Je fais attention à respecter le travail du styliste et de son équipe mais cela ne doit pas empêcher non plus d'être honnête : certains défilés sont décevants. Parce que la collection est moins bonne, ou parce qu'on attend trop d'un créateur. Quelques fois, le travail est excellent, mais si personnel que le journaliste ou le client ne peut pas suivre le styliste. Il reste à la porte d'un univers qu'il ne comprend pas parce qu'intégrant trop de références intimes et donc inconnues.
Autre difficulté : l'instantanéité nouvelle des critiques. Une journaliste regarde les modèles à travers son expérience, sa connaissance technique, son intérêt personnel pour telle matière. Il est très difficile de s'en défaire complètement, de se dire "qu'en pense la femme qui va essayer ça en boutique ?" "qu'est-ce que ce travail apporte à l'art de la mode ?" Rédiger un compte-rendu dans l'heure est délicat, la première impression est la bonne pour moi mais pas forcément pour le lecteur.
Enfin, quand on twitte ou instagrame en direct une collection, comment juger quel modèle est le plus remarquable ? On ne peut pas photographier toutes les silhouettes, le choix se fait à l'arrache : "tiens, ça c'est chouette" et puis pouf, la robe d'après est encore mieux...
La solution ? photographiez flou, comme moi. Vous n'aurez qu'une photo potable à poster. Et 10 heures après la fin du défilé, parce que vous n'avez plus de batterie (épuisée parce que oui, j'ai aussi tenté de filmer. Ca marche très bien quand Lutin n°2 filme ses pieds mais là, bizarrement, nada!).
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défilé Ulyana Sergeenko |
J'ai rencontré hier Marion. Ex-rédactrice mode chez Marie-Claire, elle a dit "je regarde toujours une collection en me demandant ce que j'en penserais si c'était un jeune inconnu qui montre sa collection de fin d'études".
Je trouve sa position intéressante. Un test à l'aveugle (les yeux ouverts, bien évidemment, sinon ça devient compliqué) changerait certainement notre regard sur le travail des couturiers. Je crois que certains bons élèves seraient priés de redoubler et des cancres gagneraient la tête du classement.