Et les hommes ? Les hommes s'intéressent de plus en plus à la mode, pour la porter, la créer, la regarder et on leur laisse encore peu la parole sur ce sujet. C'est l'un des paradoxes dont le milieu a le secret : d'un côté, la mode repose à 80 % dans des mains masculines (financiers, couturiers...), de l'autre, les hommes "normaux", ceux qui ne gravitent pas dans ces hautes sphères, ne sont jamais invités à en parler. Quand j'ai vu le récent numéro de Madame Figaro avec Xavier Dolan en couverture, j'ai pensé "enfin!" Cette manie des féminins de ne mettre que des femmes en une, ça me sort par les oreilles.
Les hommes ont un regard parfois différent, souvent complémentaire, sur les vêtements et le style (rappelez-vous les interventions de Mr, régulièrement rapportées sur ce blog...) et j'ai eu envie de savoir ce qu'ils en pensaient, comment, eux, vivent la mode. Et ça tombait bien, j'avais deux ou trois "experts-normaux" en tête.
Avec son compère Sylvain, Jérôme inaugure donc cette petite série d'interviews et répond avec beaucoup de gentillesse à mes questions. Sylvain et Jérôme ont 29 et 28 ans. Après une école de commerce, ils se rencontrent au travail, dans une société de conseil en informatique. On se demande ce qu'ils faisaient dans ce milieu "très formel, cadré et "professé" " comme le dit honnêtement Jérôme, mais justement, l'expérience leur "a donné l'envie de créer à contre-courant, et de créer ensemble." Chose pensée, chose faite : Le Flageolet voit le jour en 2012.

"Nous avons eu le déclic lorsque, voulant changer de la cravate-bleu-de-travail, nous nous sommes mis en quête de nœuds papillons chics et colorés. Et que nous avons sué sang et eau pour finalement trouver quelque chose qui ne correspondait pas à nos attentes..." poursuit Jérôme.
- Pourquoi choisir autant de couleurs et d'imprimés fantaisie pour vos créations ?
Sylvain : Parce que, avec nos noeuds papillon, nous voulons apporter de l'originalité aux tenues des hommes, en leur permettant d'accessoiriser joyeusement leur costume ou leur tenue de tous les jours, tout en restant chics.
Jérôme : On a volontairement choisi un axe décalé pour nos créations, avec des noeuds papillon souvent réversibles, des motifs ou des associations de matières inattendues, qui apportent un twist original à une tenue. (NDLR : cf leur collection de cet hiver "soie et laine de saison")
- Est-ce que parfum et couleurs peuvent résonner ?
S : Cette vision synesthésique de notre travail nous plaît assez, parce qu'on se situe volontiers entre la poésie et la folie. Donc oui, évidemment :)!
- On parle de l'avènement d'un néo-dandysme. D'accord, pas d'accord ?
S: Tout à fait d'accord. ça se vérifie dans deux phénomènes : premièrement, les hommes reprennent la main sur leur vestiaire. Ils se laissent de moins en moins guider par leur femme, et font de plus en plus leur shopping en autonomie.
Deuxièmement, de plus en plus d'hommes vont au fond du sujet et ne font plus uniquement leurs shopping mode par "hygiène" (j'ai besoin d'un pull, je file dans le magasin le plus proche, et je prends le premier qui passe). Ils font attention à ce que le produit leur aille bien (même s'il y a encore du boulot à faire sur ce point...), ils étudient les matières, la qualité, la finition, voire la technique du vêtement, achètent éthique et durable, etc.

J: Dans le marché de l'accessoire, cela se voit avec la recherche et la maîtrise de la nouveauté : l'avènement des chaussettes colorées depuis quelques années, mais aussi du noeud papillon ou des cravates tricot, comme d'une offre plus élaborée de bagagerie pour homme, en sont autant de preuves !
- Quel rapport entretenez-vous, vous personnellement, avec la mode ? Vous trouvez ça important / essentiel / complémentaire... du reste de votre vie ?
J: C'est moins la mode (car les modes passent...) que le style qui est important ! Trouver un bon basic ou une pièce structurante de son vestiaire, trouver un costume qui soit adapté à sa morpholgie et donc qui nous mette en en valeur, ou une pièce rare pour l'originalité, c'est cela qui est important.
Savoir bien s'habiller passe aussi évidemment par la maîtrise de l'accessoire (le noeud papillon par exemple !), qui permet de renouveler une tenue, de faire la différence, et surtout de se faire plaisir.
S: Notre rapport à la mode est donc moins dans les défilés que dans le contact avec nos clients, pour comprendre ce qu'ils recherchent et les accompagner au mieux dans l'amélioration de leur style. C'est aussi pour ça que dans notre mode de fonctionnement nous avons voulu garder un maximum de flexibilité, avec un atelier capable de répondre rapidement à leurs demandes, notamment sur-mesure (NDLR : Le Flageolet est installé à Paris).
- Quels magazines ou quelle littérature aimez-vous lire régulièrement ? Ou jamais ?
S: J'aime beaucoup l'objet magazine mais j'ai besoin qu'il m'apporte une vision différente et une inspiration. Je suis assez fan de la version française de Vanity Fair, encore assez plein d'énergie. Dans un autre domaine, Snatch est assez dépaysant... Comme j'ai été élevé à la presse féminine, je m'y plonge parfois. Récemment, j'aime bien le dynamisme et le ton de Stylist...
J: Mais on est aussi friands de blogs, qui sont une source inépuisables d'inspiration et d'information : BonneGueule pour la technique et l'éducation, les Others pour l'inspiration et le voyage, Les petits Frenchies pour être au courant des créateurs qui se lancent... et plein d'autres ! La liste serait trop longue à dresser ! Et quand on va chez les filles, c'est Stelda bien sûr ! (NDLR : roooh, quels petits fayots, ces Flageolets!!)
- Qu'est-ce que les hommes ont du mal à oser dans leur tenue ou leur apparence ? Est-ce par rapport au regard de la société ou à celui des femmes ou des autres hommes plus particulièrement ?
J: Le principal point de blocage, selon nous, c'est que la majorité des hommes ne veulent pas être précurseurs d'une mode ou d'une tendance. Ils attendent qu'un mouvement soit lancé pour l'adopter.
S: Mais des brêches s'ouvrent, et s'ouvrent de plus en plus vite. Les hommes tentent plus de choses qu'avant et affirment mieux leur style, ce qui est une bonne chose.
- Quand vous regardez la mode masculine du 18e ou du 19e siècle, vous vous dites ... ?
J: La mode du 19ème est une belle source d'inspirations. Plus sobre que celle du 18ème, c'est de là que viennent pas mal de pièces de nos vestiaires contemporains, et c'est donc là que s'enracine une bonne partie de l'histoire de la mode contemporaine. Je suis toujours en admiration devant les gravures de mode de cette époque, l'élégance variée de ces messieurs avec leurs redingotes, leurs gilets, leurs pantalons taille haute, leurs hauts de forme ... et leurs noeuds papillon.

- L'objet que vous rêveriez de créer ?
S: Des guêtres ! On rêverait de les remettre au goût du jour. C'est un accessoire très sympa qui permet de rhabiller un soulier tout en le transformant en bottine.
- Qu'est-ce qui vous marque le plus dans la mode féminine ?
J: Nous en sommes jaloux car les femmes ont beaucoup plus de champs pour varier les tenues, les plaisirs, etc. Quand les hommes sont a priori cantonnés à des cadres plus stricts. Mais nous ce qu'on veut, c'est embellir le cadre, puis en faire sortir les hommes, petit à petit. Et à ce titre, le noeud papillon est un premier pas ! On sort aussi un nouveau produit : un foulard protéiforme, qui est tout à la fois une pochette de costume, un bandana, un foulard, un headband... et que nos épouses nous piquent déjà !
- Vous vous retournez sur une fille qui... ?
S: ... porte un vêtement ou un accessoire que je pourrais lui piquer ! Un écharpe par exemple, un manteau officier... Un style original, travaillé et naturel est toujours appréciable et peut même être une source d'inspiration pour nous !
Bon il y a bien sûr beaucoup d'autres raisons de se retourner sur une fille : le style fait partie d'un tout :) !
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Source photos : Le Flageolet